French Premiere Magazine, Decembre 2001

Mulholland Drive Review

SI VOUS AIMEZ LE CINEMA ET SES CHIMERES

USA. Avec Justin Theroux (Adam Kesher), Naomi Watts (Betty Elms/Diane Selwyn), Laura Elena Harring (Rita/Camilla Rhodes), Ann Miller (Coco), Robert Forster (détective McKnight)...Scénario David Lynch. Photo: Peter Deming. Musique: Angelo Badalamenti. Prod.: Neal Edelstein, Joyce Eliason, Tony Krantz, Michael Polaire, Alain Sarde, Mary Sweeney. Distr.: Bac. 2 h 26. Dolby SRD. 180 copies.

Un film à clé. Après un accident de voiture, une belle brune perd la mémoire et trouve refuge chez une belle blonde fraîchement débarquée à Hollywood. Toutes deux vont essayer de remonter le passé de l'amnésique, au moyen de quelques indices: une liasse de billets de banque, une mystérieuse clé bleue...

Et un film à serrure. Lorsque, aux deux tiers de Mulholland Drive, la clé trouve sa serrure, un fondu au noir nous transporte d'un coup dans un autre univers. Un univers qui ressemble au précédent, puisqu'on peut y voir les mêmes personnages (un cinéaste, des actrices). Certains d'entre eux ont changé de nom, mais on ne s'en rend pas compte tout de suite. Les lieux ont l'air d'être les mêmes, le temps un peu moins. Peut-être est-il raconté au conditionnel futur alors que précédemment, il était au présent de l'indicatif. Peu importe: c'est comme si on était passé d'un film à un autre, avec suffisamment de correspondances pour que la superposition de deux fragments d'histoires donne un ensemble cohérent.

La première partie est plutôt classique, et son humeur souriante en ferait la face «claire» de l'ensemble, pour utiliser une logique binaire à laquelle il est difficile d'échapper. Elle est composée de scènes presque toutes anthologiques, qui offrent une gamme variée d'ambiances: comédie, romance, érotisme, suspense. La seconde partie ouvre sur des tableaux plus sombres et oniriques, tout en accentuant l'histoire d'amour entre les deux filles.

À moins d'être préparé par certains des précédents films de Lynch, cette forme de cinéma peut dérouter parce qu'elle s'affranchit de la logique narrative classique qui «ferme» une histoire en donnant des explications. Au contraire, le film est ouvert sur un espace de perception et d'interprétation sans limites. Cette nouvelle forme de cinéma - difficile à qualifier autrement que de lynchien - atteint ici une perfection mesurable par l'extraordinaire plaisir esthétique qu'elle procure (de même qu'on peut estimer qu'une comédie est réussie parce qu'elle fait rire). S'il ne faut pas chercher à comprendre, on n'est pas perdu pour autant. Bien que Mulholland Drive précis, il fait appel à une mémoire inconsciente du cinéma qui, en réveillant un ensemble de sensations et de réflexes, facilite la compréhension intuitive. À ce titre, il est difficile de ne pas évoquer Sueurs froides, dont le thème du double (la blonde et la brune) a toujours été décliné comme une obsession chez Lynch. Mais on pense surtout à Boulevard du crépuscule, un des grands films à avoir célébré la face sombre du rêve hollywoodien. Ce n'est pas un hasard si le boulevard auquel il fait allusion est situé non loin de Mulholland Drive.

Gérard Delorme

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